Il y a 50 ans, le 18 septembre 1970, Jimi Hendrix s’éteignait … L’occasion de reparler de ce fameux concert au Novelty …
Article publié le 16/08/2019 – La Dépêche
C’est une petite fierté locale : c’est à Évreux que Jimi Hendrix est monté sur scène pour la première fois en France, le 13 octobre 1966. Trois ans plus tard, il reprenait l’hymne national américain sur la scène de Woodstock, dans une des séquences politico-musicales les plus mémorables du festival.
Première partie de Johnny
Pourtant, si le talent de Jimi Hendrix ne laisse aucune place au doute aujourd’hui, le 13 octobre 1966 à Évreux, son nom n’évoque absolument rien aux journalistes locaux qui rendront compte de l’événement dans les colonnes des journaux ébroïciens. Le jeune Hendrix, alors âgé de 24 ans, n’a pas encore fait ses preuves de ce côté de l’Atlantique. Il vient tout juste de débarquer en Europe, et suite à une rencontre en Angleterre, c’est Johnny Hallyday qui va lui ouvrir les portes de la scène française en lui proposant d’assurer la première partie de plusieurs concerts. À commencer par Évreux, donc.
Ce soir-là, tous les yeux sont rivés sur l’idole des jeunes : Johnny Hallyday, qui a connu un succès fulgurant dès le début des années 1960, traverse en 1966 une mauvaise passe. Entre la baisse des ventes de ses disques et une tentative de suicide à peine un mois avant sa représentation ébroïcienne, la presse locale l’attend au tournant, et ignore absolument tout de ce Jimi venu des États-Unis. Georges Noël, alors journaliste à La Dépêche, rend compte à l’époque avec enthousiasme d’un concert réussi pour Johnny, et d’une forme de victoire sur ses détracteurs :
« Jeudi, rodant le spectacle qu’il va présenter à Paris, [Johnny Hallyday] venait à Évreux à un moment de sa carrière, de sa vie même, où tout peut être gagné ou perdu. Eh bien à Évreux on a dit : c’est gagné, et pour longtemps. »
« Un assourdissant vacarme »
Quant aux jeunes musiciens qui assurent la première partie du plus connu des yéyés ? Un seul paragraphe leur est consacré, du bout des doigts : « Nous passerons rapidement sur la première partie du spectacle, composée à l’improviste, nous a-t-on dit, parce que les danseuses de jerk qui doivent l’animer n’étaient pas arrivés en France. » Et en guise de coup de grâce, une petite phrase cinglante :
« Nous n’en gardons que le souvenir d’un assourdissant vacarme. »
Même son de cloche peu visionnaire dans le journal concurrent, l’Eure-Éclair : dans une coupure datée du 22 octobre 1966, un compte-rendu qualifie de « soirée mémorable » le concert de Johnny, sans toutefois y relever les débuts d’un des plus grands musiciens de l’époque : après une première prestation de l’orchestre qualifiée de « débauche de sons », le journaliste commente ainsi le spectacle de la dernière « découverte » de Johnny :
« Il s’agissait d’un chanteur guitariste à la chevelure broussailleuse, mauvais cocktail de James Brown et de Chuck Berry qui se contorsionne pendant un bon quart d’heure sur la scène en jouant parfois de la guitare avec les dents. »
« On n’avait jamais vu ça ! »
Du côté des spectateurs en revanche, les mélomanes sentent bien que quelque chose vient de se passer. Alain Lambert, journaliste ébroïcien à la retraite et féru de musique, de la variété au rock, ne pensait pas assister à un événement en allant au Novelty ce soir-là : « On venait voir Johnny Hallyday, et surtout ses musiciens, se rappelle-t-il. Je voulais surtout voir comment jouaient Micky Jones et Tommy Brown, qui l’accompagnaient au sein des Black Birds. »
Jimi Hendrix n’était alors même pas annoncé sur les affiches. Alors quand le guitariste de Seattle entre sur scène, vêtu d’une veste en daim à franges « comme dans les films américains des années 1950 », et commence à jouer de sa guitare dans le dos ou avec les dents, les jeunes passionnés prennent une claque : « On avait jamais vu ça ! » souffle Alain Lambert.
Certains de ses copains restent sceptiques, qualifiant Hendrix et ses acrobaties de « clown », mais le jeune Alain est conquis : « Il m’a fait une énorme impression. Je me suis dit qu’il allait bouleverser les choses. »
Quelques mois après, Jimi Hendrix et son désormais mythique « Hey Joe » inondaient les ondes des radios, lui donnant raison. Et plusieurs années plus tard, Évreux gravait dans le marbre le souvenir de ce concert… sur les affiches duquel, ce soir d’octobre 1966, le nom de Jimi Hendrix n’avait été rajouté au feutre qu’à l’entracte.
Claire HUILLE – La Dépêche – 16 août 2019
Pour aller un peu plus loin …
La France, l’autre pays de Jimi Hendrix – La Croix 13 septembre 2020
La France était le troisième pays de Jimi Hendrix – France Info 13 septembre 2020
CLAIRE Journaliste
Journaliste aujourd’hui, baroudeuse hier, Claire est une touche à tout. Après un tour du monde, elle fait un retour aux sources à Evreux et écrit pour Eure Infos/La Dépêche…